Cachez ces indépendants que l’on ne saurait voir !

Publié par Marine Pierrot Plenard le mercredi 31 juillet 2019

Une fois de plus, le G7 social réunit à Paris début juin a ignoré le sort des indépendants. Obsédés par le salariat, les acteurs ont refusé de porter un nouveau regard sur le monde du travail et de donner une juste place à ces « invisibles ». Continuer à les ignorer, c’est refuser les grandes mutations qui sont en cours. Il est encore temps de se réveiller !

Le G7 sert-il encore à quelque chose ? La question revient sans cesse à la veille des rencontres entre chefs d’État. Après la réunion à Paris début juin du G7 social – Prélude au G7 de cet été à Biarritz -, on est tenté conclure que non. Pourtant, une réflexion mondiale sur l’évolution du marché du travail est plus que jamais nécessaire. Plus que jamais, que ce soit face à la révolution numérique du travail, avec l’apparition des fameux « travailleurs de plateforme », ou la construction d’une protection sociale plus adaptée à la réalité et aux nouveaux risques, nous avons besoin d’une coordination internationale. Hélas, encore une fois, dans un monde qui change si vite, les participants n’ont eu comme ligne d’horizon que le sacro-saint salariat.

A l’occasion de la réforme du chômage, la ministre du travail martèle qu’elle veut (re)faire du « CDI la norme ». Quant à l’Organisation Mondiale du Travail, pas même un chapitre dans le rapport de la Commission mondiale sur l’avenir du travail ! Oubliés, le million de « freelances » français dont le nombre a doublé en dix ans. Invisibles, ces travailleurs indépendants qui pourraient être demain, en Europe, plus nombreux que les salariés.

Stop au manichéisme

Ce refus d’accompagner les transformations s’inscrit trop souvent dans une vision simpliste qui oppose purement et simplement travailleurs indépendants et salariés. Pour beaucoup, les « freelances » doivent s’accommoder d’une insécurité économique croissante, dans un monde du travail transformé en jungle. Les plateformes numériques sont souvent mises en avant pour parler « d’ubérisation » et de « salariat déguisé ». Et tant pis si le sujet reste mineur à l’échelle du travail indépendant : l’OCDE elle-même reconnaît que les indépendants travaillant exclusivement pour des plateformes ne représentent que 0,001 % de la population active française. De plus, mettre à l’index les plateformes « prédatrices » est très réducteur. Uber est l’arbre qui cache une forêt des modèles numériques vertueux.

Beaucoup sont ouverts et permettent aux indépendants qui les utilisent de mettre en valeur leurs qualités et d’exercer leurs talents. Stigmatiser toutes les plateformes, prôner systématiquement la requalification en contrat de travail empêche de facto la nécessaire réflexion sur l’évolution de la réglementation, mais aussi le développement de nos entreprises. C’est aussi oublier que dans leur grande majorité, les travailleurs des plateformes ne sont pas des victimes. Ils profitent d’une opportunité que l’économie traditionnelle ne leur a pas offerte, choisissent l’indépendance ou bien font le choix de compléter un revenu.

Dépassons les chimères, sortons des vieux schémas

C’est pour eux, pour mieux organiser ce nouveau marché du travail et mieux protéger ses acteurs, qu’il faut dépasser les caricatures. Car la stigmatisation des indépendants en général et de ceux travaillant pour les plateformes en particulier masque une réalité bien plus préoccupante : la précarité grandissante du salariat. Le mouvement des gilets jaunes l’a remise au centre des préoccupations. C’est un fait : près de 85 % des embauches se font désormais en CDD, parfois des contrats très courts. Le soi-disant paradis français du CDI et de la protection sociale est en train de devenir une machine à fabriquer des précaires. Par ailleurs, il est frappant de voir le décalage entre un salariat constamment valorisé dans le débat public et le désamour qu’ont de plus en plus de salariés vis-à-vis de leur statut.

Même les plus qualifiés et protégés connaissent un véritable malaise professionnel. D’après une enquête de l’APEC, plus de la moitié des cadres se disent prêts à renoncer au salariat. Tentés par l’entrepreneuriat, 55 % envisagent de s’installer en microentreprise ou de choisir de nouvelles formes d’emploi comme le portage salarial. La réalité, c’est que bien des travailleurs salariés sont aujourd’hui en situation précaire ou en manque de reconnaissance et de repères. À l’inverse, nombreux sont les travailleurs indépendants à éprouver le sentiment de progresser, de s’élever dans l’échelle sociale. Leur statut répond à de profondes aspirations d’autonomie, d’épanouissement au travail, d’équilibre entre carrière et vie personnelle.

Invisibilisés, les « freelances » n’en restent pas moins un phénomène structurel à la pointe des réflexions sociétales sur le monde du travail. Le sens et les modalités de l’activité professionnelle sont réinterrogés. Les notions de sécurité de l’emploi, d’accès au prêt bancaire, de formation et d’expériences doivent désormais être prises en compte par le législateur. Il faut sortir les indépendants du registre de l’invisible, sortir des oppositions, travailler à une convergence. Car si les indépendants souhaitent une meilleure protection sociale, les salariés veulent eux plus de flexibilité, plus d’autonomie.

Il est temps de se réveiller. L’avenir ne sera pas blanc ou noir. Il sera salarié et indépendants, ensemble. Dans une vie, il doit devenir possible, facile, de passer de l’un à l’autre sans à-coup. Non pas comme un accident de parcours, mais comme une richesse. Pour rendre le futur possible, il faut mettre en place des solutions concrètes. Dans une société où le numérique libère désormais les ressources d’activités inexploitées, n’ayons pas peur des nouvelles formes de travail. Sortir les invisibles du silence, oser affronter la réalité, c’est aussi faire en sorte de rendre cette révolution humaine et plus protectrice.

Tribune de Guillaume Cairou à retrouver sur www.entreprendre.fr

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